ABIME EDITION
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Extrait 1

Zone industrielle Nord - Prague, le 1er Avril 2030.

​    De grands bacs noirs opaques étaient disposés sur trois rangées de chariots métalliques. Vilem s’était placé à l’avant de la remorque, entre la cabine et la marchandise en espérant naïvement que le froid y serait moins saisissant. Mais la réalité s’était avérée bien différente. Au-dessus de lui, un écran digital affichait -10°C. Vingt minutes étaient nécessaires pour sortir de la ville et le double pour quitter le pays. L’impatience guettait déjà, impuissante devant une horloge ankylosée. Le froid gelait aussi bien la matière que le temps. L’idée du schnaps avait été brillante, l’eau-de-vie l’aidait à maintenir la température de son organisme et éviter une hypothermie foudroyante. Cela lui permettait de se projeter, de s’imaginer déjà dans la cabine, membres serrés, réchauffés par l’air brûlant balancé par le radiateur. Mais las de combattre, Vilem avait fini par somnoler, réveillé en sursaut par son thermomètre biologique qui l’exhortait à se frotter les membres pour faire naviguer le sang dans ses vaisseaux. Il fallait quelquefois stimuler la vie pour éviter qu’elle se taise.

​         Le moteur du camion se mit à tousser, en faisant trembler l’ensemble du chargement. Puis tout s’immobilisa et l’obscurité totale s’accompagna d’un silence intégral. Vilem, dans un état quasi-apnéique, consulta sa montre. 21 heures. Ils étaient encore loin de la frontière. Discrètement, il inséra la main dans son manteau et chargea son arme. Un léger cliquetis, trop bruyant à son sens, résonna dans la remorque. Quelques secondes plus tard, les deux grandes portes s’ouvrirent. Un grésillement de talkie-walkie retentit et la remorque ploya légèrement, décrochant un bruit hydraulique aux essieux. Vilem n’était plus seul. Un faisceau de lampe parcourut la marchandise sans qu’il ne voie son porteur. Il restait campé, recroquevillé sur lui-même, recouvert d’une illusoire cape d’invisibilité. L’intrus ouvrit les bacs de la première rangée puis s’avança méthodiquement vers la suivante. Vilem retenait sa respiration. Il avait l’impression que le sang allait jaillir de ses tempes à tout moment. L’indésirable visiteur avait terminé d’examiner la deuxième rangée lorsque Vilem fut pris d’un violent spasme et fut contraint de relâcher un peu d’air emprisonné dans ses poumons. Un nuage de vapeur se propagea lentement dans l’air en s’atténuant à mesure qu’il avançait. Les mouvements s’arrêtèrent. Un silence insupportable advint. Vilem grimaçait de douleur pour s’empêcher de respirer, d’émettre une seule preuve de son existence. Le faisceau de photons parcourut le fond de la remorque et la lumière jaune rencontra bientôt la vapeur blanche. Mais il était déjà trop tard. L’importun sentait déjà le contact froid du pistolet sur son torse.

Extrait 2

​        La nuit, le ghetto était plongé dans le noir. Depuis quelques années déjà, les éclairages publics étaient soumis à une gestion drastique qui provoquait des extinctions subites et des baisses de tension brutales. La municipalité de Prague avait vu son budget des consommations électriques exploser avec l’augmentation du coût des énergies fossiles. Elle avait fait le choix d’éteindre des quartiers entiers, notamment les plus défavorisés, ce qui avait augmenté de manière considérable les violences et les actes criminels. Les arrondissements les plus riches avaient été épargnés pour éviter de faire fuir des résidents payants des taxes d’habitation considérables. Pour se réchauffer, les habitants brûlaient les immondices accumulés dans la rue pour lesquels il n’existait plus de retraitement. Et lorsque le temps était trop
humide, ils venaient se chauffer auprès des latrines en décomposition disposées çà et là, ce qui ne manquait pas de provoquer des problèmes tragiques d’hygiène. Pour les plus bricoleurs, il restait le moyen de détourner des panneaux photovoltaïques pour en faire de l’électricité, solution pratique mais intermittente et peu fiable, les panneaux étant souvent vétustes et en partie oxydés par l’humidité ambiante.

          Vilem ramassa un journal jeté dans un caniveau. Une double page était consacrée à un parti politique récemment créé, appelé le Nouveau Parti, proche des actuels partis radicaux de gauche et qui comptait parmi ses rangs la jeunesse praguoise et certains intellectuels. Il était mené par Jaroslav Hacek. Issu d’une famille modeste de l’est de la République tchèque, Hacek avait adhéré au Parti communiste radical pendant ses études de philosophie à l’Université de Prague avant de cofonder avec d’autres étudiants le Nouveau Parti. Celui-ci portait les idéaux de gauche et souhaitait résolument se différencier du Parti communiste par sa vision progressiste de la société et son ouverture résolument fédératrice. Le parti d’Hacek avait gagné en popularité depuis que l’effondrement de l’hégémonie américaine et de sa consœur européenne avaient laissé une place béante à l’avènement de nouveaux idéaux de société. Son programme était résolument tourné vers l’homme et sa condition sociale ainsi que sur la nouvelle économie liée au développement  d’alternatives  préférant  l’utilisation  raisonnée  de l’environnement et de ses ressources. L’article faisait également mention de son second, un certain Ivan Klaus, ancien militant du Parti vert allemand et immigré depuis la débâcle allemande de 2020, qui s’était hissé très vite dans les rangs du Nouveau Parti grâce à son expertise en écologie politique et à son retour d’expériences en la matière. Alors que Vilem était en pleine lecture de ce nouveau phénomène politique, une berline noire ralentit à ses côtés. Il adressa des regards discrets mais ne distingua aucun des occupants de l’automobile. La voiture accéléra et se gara en double file plus loin dans la rue. N’y prêtant plus attention, Vilem continua sa lecture jusqu’à ce qu’un homme, le visage dissimulé dans un chapeau noir, le bousculât.
​
— Vous êtes Vilem Dvoracek ? demanda-t-il sans que Vilem ne puisse observer son visage.
— Oui, que voulez-vous ?
— Montez avec moi. Il en va de votre salut, fit l’homme avec un fort accent russe.
— C’est hors de question, cassez-vous ! rugit Vilem.
— Ce n’est pas une question, répondit froidement son agresseur dont le visage dévoilé à la lumière montrait d’énormes cicatrices sur la joue et le front.

Il le prit par le bras et le força à entrer à l’arrière de la voiture banalisée qui avait pris place à leur côté. La porte arrière se verrouilla avant que Vilem ne pût tenter d’en sortir.
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